L’affaire Emily Spanton c’est une nouvelle fois une victime condamnée pour son comportement, et une incompréhension totale des mécanismes du psycho traumatisme qui décrédibilise sa parole et dédouane ses agresseurs.
Nous sommes en 2014, Emily Spanton, une touriste canadienne, ressort en état de choc du siège de la police judiciaire parisienne, le 36 quai des Orfèvres. Elle accuse Antoine Quirin, et Nicolas Redouane de viol en réunion alors qu’elle était sous l’emprise de l’alcool. Ils se sont rencontrés dans un bar, ils ont flirté, elle avait beaucoup bu. Elle a accepté de les accompagner au 36, puis les choses ont dégénéré.
Les deux prévenus seront condamnés en première instance à 7 ans de prison, mais ils viennent d’être acquittés vendredi 22 avril par la cour d’assises du Val-de-Marne.
En dehors du fait que pour consentir il ne faut pas être ivre, qu’un consentement donné n’est pas un chèque en blanc et doit pouvoir être repris à tout moment sinon cela n’est plus un consentement, et que l’on ne devrait jamais être en danger en compagnie de policiers, cette triste affaire illustre les conséquences tragiques et récurrentes de l’ignorance des mécanismes du psycho-traumatisme.
Les mœurs d’Emily Spanton ont été passés au crible au tribunal. « C’est une touzeuse », ainsi la décrit l’un des policiers incriminés comme si c’était elle la coupable : une femme facile, qui traine dans les bars, accumule les rencontres.
Emily apparait comme une femme à la dérive qui, semble-t-il, se met délibérément en danger.
La plaignante est décrite comme malade, dépressive, confuse, voire borderline. Sa crédibilité est mise en doute.
Une femme libre de ses mœurs et une femme dépressive ce n’est pourtant pas du tout la même chose. Derrière la psycho phobie des propos tenus contre Emily Spanton, réside une incompréhension totale des mécanismes paradoxaux du trouble de stress post traumatique.
J’ai rencontré plusieurs victimes adultes de violences sexuelles sur mineures – d’inceste – de traumas répétés sur un cerveau en développement.
Un certain nombre d’entre elles m’ont dit être passée par une période de mise en danger, qui peut paraitre extrêmement paradoxale, en totale contradiction avec le profil de la victime fragile et terrifiée, que l’imagerie populaire attend dans ce genre de circonstances.
Exemple : Nadège a été violée par son oncle de l’âge de 2 ans à ses 11 ans « Jeune adulte, j’ai traversé une longue période de dépression. Je trainais dans les bars, je rentrais au milieu de la nuit au bras de n’importe qui, il aurait pu m’arriver n’importe quoi ».
Sébastien Boueilh, le « colosse aux pieds d’argiles » qui s’active à dénoncer les violences sexuelles sur mineurs dans le monde sportif, a été abusé sexuellement entre 12 et 16 ans par un proche. Lui aussi témoigne d’une période de conduites à risques : sexe, alcool, drogue, avant de se ressaisir et renverser complètement le cours de sa vie.
Ces mécanismes paradoxaux peuvent conduire une victime à se mettre en danger et chercher à reproduire des situations d’abus.
Ces comportements de mise en danger ne sont pas la signature de caractères « débauchés », mais au contraire d’une profonde détresse liée aux conséquences de violences sexuelles subies alors qu’ils/elles étaient enfants.
Le premier de ces paradoxes, c’est que la victime sombre au moment où elle semble aller mieux. Lorsque la vie s’apaise, les souvenirs enfouis cherchent à refaire surface pour se réorganiser et s’éteindre; mais en attendant la douleur est insupportable. Il faut donc les noyer, les anesthésier coûte que coûte.
Une des manifestations du Stress Post Traumatique c’est la reviviscence perpétuelle de traumatismes insupportables, comme s’ils étaient toujours actifs et vécus dans le moment présent. Pour y mettre fin il faut se dissocier pour se ré anesthésier. C’est à cela que servent les addictions, l’alcool, la drogue, mais aussi le fait de se mettre délibérément en danger, comme par exemple se présenter comme une femme sexuellement disponible, d’autant plus accessible qu’elle est alcoolisée, et qu’elle traine la nuit dans les bars avec des inconnus.
Emily Spanton était probablement dissociée le jour où elle a subi ce viol en réunion au 36 quai des orfèvres. Surtout elle a probablement vécu plusieurs traumatismes bien plus anciens avant cet épisode. Il est fort probable que ses violeurs ont reconnu en elle la fragilité particulière des victimes de traumatismes sexuels, qui sont fréquemment sur victimisées.
Cette affaire révèle l’urgence à former les avocats, les magistrats et la police au psycho traumatisme, pour qu’enfin l’on sorte des études de mœurs moyenâgeuses pour lire correctement le comportement paradoxal d’une femme à la dérive.
S’offrir sexuellement à des inconnus en étant imbibée d’alcool, ce n’est pas un appel au viol, c’est un appel au secours.
Pour une compréhension en profondeur de ces mécanismes, Dragon Bleu TV va bientôt diffuser trois émissions consacrées au trouble de stress post traumatique, son expression extrême le Trouble Dissociatif de l’Identité, et la psychiatrie de catastrophe. Avec Dre Coraline Hingray, Eléonore Tarlet, Annick Ponseti-Gaillochon, Pr Wissam el Hage, Dr Patrice Louville et Dr Frédéric Ducrocq. Ils sont psychiatres et psychologues, et tous spécialistes du psycho trauma.
Pour faire avancer la cause des victimes, luttons contre l’ignorance en réunion.
Sophie Robert