Par Sophie ROBERT
Publié dans Médiapart le 30 aout 2020
Comment expliquer l’incapacité chronique de l’Aide Sociale à l’Enfance à répondre aux besoins élémentaires des enfants dont elle a la charge ? En France, la formation des éducateurs spécialisés est aujourd’hui encore majoritairement psychanalytique. Cette approche pseudo scientifique sectaire les place en contradiction avec leur rôle social, et tous les partenaires de la protection de l’enfance.
Dans l’émission « ça commence aujourd’hui » du 9 septembre, la mère d’une jeune femme souffrant du syndrome d’alcoolisation foetale fait cet aveux édifiant :
En France, la formation des travailleurs sociaux obéit encore largement à une logique corporatiste extrêmement préjudiciable au public fragilisé auxquels ces professionnels s’adressent.
Joseph Rouzel, directeur de l’Institut Européen de Psychanalyse et Travail Social, est considéré comme une référence dans la formation des éducateurs spécialisés. Il est l’auteur d’un manuel de formation des éducateurs spécialisés « La relation d’aide en éducation spécialisée » paru aux éditions DUNOD, en janvier 2020.
En premier lieu, le livre ne fait aucune référence au développement des enfants, des adolescents, ordinaires ou handicapés, bien portants ou victimes de maltraitance intra familiale. Pas la moindre connaissance du stress post traumatique, alors que les rares exemples relatés (datant des années 70-80) font apparaitre des enfants ou adultes en stress majeur. En revanche on y trouvera de nombreuses références chrétiennes, et surtout, omniprésentes, psychanalytiques.
A longueur de pages il n’est question que de psychanalyse, de transfert et du langage humain qui « n’est pas fait pour communiquer » (p 63) le tout illustré par d’abondantes références à Freud et Lacan, Dolto et Klein.
Le livre est centré sur la formation des éducateurs spécialisés par le prisme de la psychanalyse. Tous les arguments sont construits pour faire douter l’élève éducateur de son ressenti, du réel, et l’imprégner de l’idée que la vérité serait toujours à l’envers de la réalité.
Il s’agit d’un travail de sape en règle qui vise à déconditionner l’élève éducateur de son désir d’aider, d’éduquer, d’aimer les enfants maltraités. Ce désir, Joseph Rouzel s’appuie sur Freud pour l’assimiler à une « Pulsion d’emprise associée, quoi qu’on en dise, à une certaine méchanceté, voire à un certain sadisme, si elle n’est pas désintoxiquée, aboutit bien à une mainmise sur autrui » (p47).
Qu’un éducateur veuille aider l’enfant recèlerait le désir inconscient d’exercer une emprise sur cet enfant, voire de l’agresser : « Pourquoi l’éducateur serait-il exempt de cette tendance agressive ? Nous ne sommes pas des anges, que je sache ! La pulsion d’emprise qui peut grandement oblitérer la relation d’aide est donc à interroger en permanence » (p50).
« Dans le travail dit « social », la prise en compte et la mise au travail des intentions et des désirs, le plus souvent inconscients, des professionnels, me parait une voie indispensable » (p53). Et de soutenir la psychanalyse pour ce faire, travail qu’il résume ailleurs sous le terme « purification des passions ».
A propos du moteur de la relation éducateur-enfant, Joseph Rouzel récuse l’empathie défendue par la psychologie positive (Carl Rogers) pour lui opposer le transfert psychanalytique (P56). L’auteur invite le professionnel à ne pas « se laisser toucher et affecter par la souffrance, avec les risques d’identification afférents, les difficultés multiples de l’usager, plonge ceux qui s’y livrent dans une zone de confusion, ou l’on ne sait plus qui est de l’un ou de l’autre ».
Page 53, il met en garde les éducateurs contre les affects qui pourraient les gagner « Il revient au professionnel de s’en dégager » car « La pulsion d’emprise mène la danse. La part de jouissance qui est convoquée dans toute relation d’aide peut rapidement empoisonner la relation ».
Le désir pour un éducateur d’aider l’enfant maltraité est assimilé à une « jouissance ». « L’étymologie du mot « aide » nous amène à considérer la jouissance qui y est convoquée, elle nous met aussi en garde sur la dérive des sentiments qui consisterait à s’y faire plaisir, à en jouir » (p53).
P54 : « Le praticien de la relation d’aide doit donc éviter deux obstacles de taille : faire plaisir et se faire plaisir ».
Par exemple, page 46 il tourne en ridicule la volonté de deux éducateurs de trouver un logement d’urgence pour un SDF. A la place il leur conseille de faire usage de la parole…
La parole, la parole, la parole, voilà à quoi se résumerait la relation d’aide sous l’angle psychanalytique. Une parole qui ne vise pas à l’action, qualifié d’agitation (p166).
Cependant, un bon psychanalyste se gardera aussi de trop écouter.
Page 84 l’auteur défend la pratique lacanienne de la séance courte (le psychanalyste coupe la parole de l’analysant pour mettre fin à l’entretien au bout de quelques minutes) « même dans une visée non thérapeutique », autrement dit même dans une relation éducateur-enfant il s’agit d’être en relation, mais à bonne distance, sans aucun affect, sans chercher à écouter vraiment. Partout les dogmes psychanalytiques prennent le pas sur les besoins élémentaires des enfants placés.
Cependant, un bon psychanalyste se gardera aussi de trop écouter.
Page 84 l’auteur défend la pratique lacanienne de la séance courte (le psychanalyste coupe la parole de l’analysant pour mettre fin à l’entretien au bout de quelques minutes) « même dans une visée non thérapeutique », autrement dit même dans une relation éducateur-enfant il s’agit d’être en relation, mais à bonne distance, sans aucun affect, sans chercher à écouter vraiment. Partout les dogmes psychanalytiques prennent le pas sur les besoins élémentaires des enfants placés.
L’éducateur en formation ne trouvera aucune information sur l’impact de la maltraitance sur le développement de l’enfant, ou le stress psycho traumatique. En lieu et quoi les enfants de l’ASE, tous profils confondus, sont amalgamés comme étant « en débordement de jouissance ».
La compréhension psychanalytique du développement se borne pour l’auteur à considérer qu’un individu est bien portant lorsqu’il est « sorti des jupes de sa mère où il restait collé ». P 87.
Pour aller bien, il faut que soit mis en place le nom du père (autrement dit que le père ait séparé le « couple » mère-enfant, autrement dit que son autorité soit dominante dans le cercle familial).
Une plainte récurrente adressée à l’ASE c’est leur obstination à détruire les familles avec handicap : d’après un rapport de la FNASEP auprès du défenseur des droits, en France les enfants handicapés ont 7 fois plus de risque d’être placés par l’ASE sur la seule foi de leur handicap. Dans le même temps, des fillettes incestuées dont le père a été incarcéré, sont poussées à le revoir à sa sortie de prison, car il conserve son droit de garde, sans que cela n’émeuve personne. De nombreux enfants maltraités signalés sont laissés à la garde de leur famille toxique, faute de place…
L’explication est psychanalytique. Au fil des pages, Joseph Rouzel casse tous les repères des élèves éducateurs, affirmant page 97 « Il n’y a pas de bonne mère pas plus que de mauvaise » (…) « penser qu’il en est de suffisamment bonnes c’est impliquer qu’il en est de… pas suffisamment bonnes. C’est ainsi qu’on introduit une discrimination tout à fait dommageable entre les bonnes et les… mauvaises mères ».
Dans l’introduction de ce livre (p7) paru en 2020, l’auteur expose l’édifiante histoire de sa relation avec Jean, toxicomane adulte suivi dans un centre. Faisant sa connaissance, Joseph Rouzel commence par refuser d’accéder à sa demande de l’aider à remplir des documents administratifs pour toucher les minimas sociaux, ce qui eut pour effet de le plonger dans une rage folle. Le jeune toxicomane vivait sous la tutelle de sa mère, dépendance qui lui permettait de limiter sa consommation de drogue et d’alcool. Elle lui offrait un cadre. Mais Joseph Rouzel l’interprète tout autrement « Assumer son désir hors de l’aliénation qui le fait coller à sa mère, « voler de ses propres ailes » (…) payer le prix pour que sa parole et ses actes aient du poids, voilà ce qui faisait reculer Jean » (p8).
Alors que le toxicomane est suivi dans un centre de désintoxication, pris en charge par l’état, Joseph Rouzel assume de manœuvrer afin que ce ne soit plus la mère de Jean qui touche le RMI de son fils, mais le jeune toxicomane lui-même, ce afin qu’il puisse payer ses séances de psychanalyse, alors même qu’elles sont effectuées dans le cadre d’un service public.
Pour Joseph Rouzel, p11 « la drogue est peut-être la seule façon, même illusoire, d’essayer de s’arranger avec ce qui n’est pas fait pour s’arranger : la différence sexuelle ».
Le parcours analytique de Jean tourne autour du dénigrement de la figure maternelle. L’estime énorme que le jeune avait pour sa mère est interprétée systématiquement à charge par Joseph Rouzel comme la preuve d’une aliénation dont il faut se défaire. « Sa mère était sa seule véritable… héroïne ! ».
La mère de Jean est finalement dépossédée de la tutelle de son fils, celui-ci perd alors le maigre garde-fou existentiel de son parcours de toxicomane.
Par ce changement de tutelle, Joseph Rouzel récupère donc la main mise sur l’argent de son patient. P12 « C’est dans ce contexte que je demandais à Jean de réfléchir au fait de payer pour le travail (sic) qu’il venait faire avec moi ».
Pour autant, Jean proteste avec véhémence. Il ne voit pas pourquoi il devrait payer pour les séances de psychanalyse, un service qui normalement est gratuit dans le centre où il est suivi.
Malgré les protestations réitérées du toxicomane, l’éducateur-psychanalyste parvient à ses fins, ce qu’il justifie ainsi « Il se fait l’objet de la jouissance maternelle et il en jouit. (…) Le signifiant « payer » introduit dans le suivi éducatif, avec sa polyphonie, tente alors un déplacement et un traitement de la jouissance. La monnaie en tant que matérialité (…) introduit un échangeur universel (…). Ne serait-ce que parler d’argent, l’évoquer comme une dette possible, c’est introduire un différentiel capable de capter et de traiter des morceaux de jouissance aliénante ». P14
Jean fini par quitter le centre et disparaitre dans la nature, ce que l’éducateur-psychanalyste présente comme l’aboutissement de la cure, alors que le jeune homme ayant perdu son maigre garde fou maternel, il a pu tout simplement utiliser ses revenus pour se shooter sans limite dans un coin…
Sans surprise, le manuel d’instruction fustige les désirs de réforme des politiques publiques dans le champ de la protection de l’enfance. La rhétorique est bien connue :
P10 : « Ne pas se laisser séduire par les sirènes d’un résultat imposé », parce que « le vivant nous échappe ». Éduquer serait un métier impossible.
P112. Au final il s’agirait de « savoir soutenir chez un autre être humain la capacité d’être seul, de s’accepter comme manquant dans la relation d’autrui et soi-même ».
Toutes ces énormités sont entrecoupées de pages de bullshit néo lacaniens, de jeux de mots dignes de l’almanach vermot, et de formules pseudo logiques soporifiques qui ne servent qu’à sidérer le lecteur et noyer le poisson.
Message central de ce manuel de formation, l’auteur affirme que la relation d’aide en éducation spécialisée ne peut être qu’une relation psychanalytique, se suffisant à elle-même, en rupture avec la réalité et toute demande sociale, sanitaire, judiciaire, scolaire, affective, de repères, relative aux besoins des enfants.
P185 : « Plutôt que d’inscrire dans la loi de 2002.2 cette tarte à la crème d’un « usager au centre des dispositifs » c’est cela qu’il aurait fallu buriner au fronton de toute institution « Transfert à tous les étage » !
Pour conclure (p184) « Ce cheminement d’intranquillité, dans un certain non-savoir, me paraît partie prenante de l’implication d’un éducateur dans son métier. L’accompagnement, le soutien, l’aide apportés à un autre humain ne se produisent que de cette sorte d’effacement, d’une mise en retrait des bonnes intentions, des projections, des projets prêts-à-penser, des normes ISO, des démarches qualité, des évaluations quantitatives. Il s’agit d’y être sans y être, sans s’y croire ».
Le coût humain, social et financier, de la formation psychanalytique des professionnels de la protection de l’enfance (formation des éducateurs spécialisés) est phénoménal.
Promotion d’une pseudo science, incompétence généralisée, abus de faiblesse, maltraitance, chaque page de ce manuel recèle une infraction caractérisée.
Il ne s’agit que d’un exemple, tout récent, parmi tant d’autres.
L’État est garant de la validité des diplômes dispensés dans l’enseignement supérieur. Quand un gouvernement aura-t’il le courage de mettre un terme à l’enseignement de cette pseudo science criminelle ?
Sophie ROBERT