Comment le mouvement de l’idéologie de genre soutient la médicalisation des jeunes LGB et des jeunes qui ne se conforment pas aux normes de genre.
Par Frederick Schminke, Relecture et révision par : Holly Golightly, et Matisse Lelièvre
Le 10 février 2024
Lors des dernières décennies, les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles ont fait de grands pas vers l’égalité. Toutefois, une menace sournoise est apparue, provenant du mouvement « LGBTQIA+ » lui-même ; ce dernier joue avec le feu et met sur la corde raide toute une génération.
Il existe une méconnaissance compréhensible des subtilités de l’un des scandales médicaux les plus récents de notre époque. Ce scandale repose sur l’idée selon laquelle une personne peut changer de sexe en poursuivant une transition médicale : un parcours à la carte, hautement personnalisable et dirigé par le patient, qui va du blocage de la puberté naturelle des enfants à la prise d’hormones du sexe opposé, en passant par la chirurgie de réassignation sexuelle, qui est la solution la plus définitive.
On pourrait pardonner à de nombreuses personnes bien intentionnées et progressistes d’accepter une telle situation sans prendre la pleine mesure de ce qui se passe réellement, car le discours sur les droits des personnes transgenres en est venu à dominer toutes les couches de la société : des bancs de l’université aux médias, jusqu’au bureau de Rachel Levine à la Maison Blanche.
Il y a pourtant un débat très vif, qui existe en parallèle, depuis un certain temps déjà. Ce dernier refait surface périodiquement, comme en 2021, à la veille de la Journée internationale des droits des femmes, lorsque l’inscription « Sauvez une personne trans, tuez un Terf » a été griffonnée au pied de la statue de Marianne, place de la République à Paris, ou lorsqu’elle s’est répandue sur Twitter sous la forme d’une chasse aux sorcières à l’encontre de J.K. Rowling. Idéologiquement chargé, ce débat a mis aux prises, au sein de la gauche, les activistes queer et les féministes radicales, et ce, depuis les bien nommées « guerres du sexe » des années 1980. Le camp queer marche triomphalement vers la victoire, sonnant le glas du féminisme de la deuxième vague, lui substituant le féminisme de la troisième vague. La pornographie est considérée comme libératrice, la prostitution est désormais appelée « travail du sexe », et les personnes travesties sont hissées au sommet des opprimées de la pyramide d’un certain progressisme intersectionnel. Les féministes ayant l’outrecuidance d’interroger la novlangue orwellienne de l’idéologie du genre se voient jetées l’anathème de « TERF » ou « Trans exclusionary radical feminists ». Un anathème car il s’accompagne souvent de menaces de violence ou de viol.
Toutefois, les premières victimes de ce sinistre revirement sont sans doute les enfants qui sont mis sur la voie de la transition médicale, dont un nombre considérable, si l’on n’était pas intervenu, seraient tout simplement et naturellement devenus, une fois adulte, lesbiens, gays ou bisexuels.
Cette médicalisation de l’enfance est soutenue par un activisme despotique de la part de certaines organisations LGBT qui semblent avoir tourné le dos aux personnes homosexuelles. La question de la médicalisation de l’homosexualité semble se repenser à nouveaux frais au XXIe siècle par la transition de l’enfant qui déroge aux stéréotypes socio-sexuels. Cette transition s’opère à travers l’administration de bloqueurs de puberté dont l’innocuité est encore difficilement attestable. Les bloqueurs de puberté donnent suite à la modification chirurgicale des parties génitales. Il s’agit donc de donner une réponse chirurgicale à un inconfort psychologique. Or, si le corps est effectivement le lieu du malaise dans l’adolescence, il convient de rappeler qu’il ne saurait être la cause de ce dernier.
Les enfants faisant l’objet d’une transition médicale reçoivent des médicaments qui bloquent la puberté. Le but recherché est de leur accorder une période de réflexion quant à leur « identité de genre » avant d’envisager ou non la prise d’un traitement hormonal du sexe opposé. La classe de médicaments en question est analogue à celle de l’hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires (GnRH), qui inhibent la production d’hormones sexuelles : testostérone ou œstrogène. Bien qu’ils soient présentés comme « sûrs et réversibles » leur utilisation peut entraîner des dommages collatéraux. Plus précisément, on enregistre une diminution de la masse osseuse et des effets délétères sur la cognition, une étude ayant montré qu’après « 22 mois de suppression des effets de la puberté, la mémoire opérationnelle chute de 9 points ». Les partisans des bloqueurs de puberté soutiennent que ceux-ci prémunissent les “enfants nés dans le mauvais corps” contre une puberté psychologiquement éprouvante, diminuant ainsi le risque de tendances suicidaires.
Pourtant, la raison se rebelle à l’idée d’administrer des médicaments aussi puissants à des enfants qui ont surtout besoin d’un accompagnement psychothérapeutique.
Après tout, qui n’a pas connu de difficultés psychologiques pendant la puberté ? N’est-ce pas le propre de l’adolescence que d’interroger sa propre identité ? Celle-ci est marquée par une succession brutale de hauts et de bas hormonaux, de turbulences émotionnelles liées aux angoisses du passage à l’âge adulte.
L’épilogue tragique des bloqueurs de puberté s’est cependant déjà déroulé au vu et au su du public américain grâce à l’émission de télévision « I am Jazz ». Le pays tout entier a suivi la transition médicale d’un jeune garçon, Jazz, et son parcours pour « devenir » une femme. son parcours pour « devenir » une femme. Dans l’émission, les téléspectateurs ont pu suivre ses expériences lors de la dernière étape de sa transition : la modification chirurgicale des parties génitales.
Le chirurgien qui a accompagné Jazz dans sa transition est le Dr Marcie Bowers, l’un des plus éminents chirurgiens travaillant dans ce qu’il est convenu d’appeler les « soins de santé des personnes transgenres ». Bowers est aujourd’hui à la tête de WPATH, l’Association professionnelle mondiale pour les soins de santé des personnes transgenres. Sans le moindre soupçon d’ironie, il accompagne en parallèle les survivantes de mutilations génitales féminines. Au sein de la WPATH, la principale intervention en question est la vaginoplastie, qu’il s’agisse de la technique « standard » d’inversion du pénis ou d’une greffe utilisant une partie du côlon sigmoïde. Cette alternative pourrait être envisagée pour les individus ayant été traités avec des bloqueurs de puberté. La suppression de la puberté peut en effet entraîner une insuffisance de tissu disponible rendant ainsi difficile la réalisation d’une inversion pénienne standard.
Marcie Bowers a fait les gros titres des journaux après avoir révélé une autre facette inquiétante des « soins de santé des personnes transgenres ». Les enfants dont la puberté a été bloquée avant le stade II de Tanner risquent de ne jamais être capables d’avoir un orgasme. Interrogée par Abigail Shrier, Marcie Bowers a déclaré : « Si vous n’avez jamais eu d’orgasme avant l’opération et que votre puberté est bloquée, il est très difficile d’y parvenir par la suite », avant d’ajouter : « je considère qu’il s’agit d’un gros problème. C’est en quelque sorte un problème négligé, pouvant faire défaut au « consentement éclairé » des enfants qui subissent un blocage de la puberté. »
Bowers reviendra plus tard sur ses déclarations, publiant des excuses sur son site web, adressées à ses pairs : « mauvaise salle au mauvais moment ». Il a ensuite publié un article d’opinion dans le New York Times, plaidant en faveur des bloqueurs de puberté. Reuters a publié un entretien avec le Dr Bowers, dans lequel ce dernier déclare que les recherches en cours sur le sujet ont calmé ses inquiétudes, et « qu’il semble non seulement probable mais vraisemblable qu’il y ait une rétention de la fonction orgasmique ». Nul ne sait dans quelle mesure ce rétropédalage fut advenu, mais en tout état de cause, la nécessité d’une prudence devrait couler de source.
Ces expériences, comme il convient de les appeler, ont abouti à une tragédie épouvantable pour Briana. Jeune homosexuel mis sous bloqueurs de puberté à l’âge de treize ans, Briana risque maintenant de perdre définitivement toute fonction sexuelle. Interviewé par Buck Angel, il s’exprime maintenant publiquement contre les bloqueurs de puberté. Briana écrit :
« C’est ma plus grande peur sexuelle. Non seulement le manque de relations sexuelles qui va s’infiltrer dans mes fréquentations, ma vie amoureuse, mais aussi la peur que cela m’éloigne de l’ensemble du spectre des relations humaines tels que l’amour, le sexe et l’intimité. Je ne possède ni organes sexuels ni libido, mais mon besoin et mon désir d’amour, de romance et d’intimité sont toujours bien vivants. Malheureusement, à chaque fois que j’essaie de nouer une nouvelle relation, elle est immédiatement interrompue à cause de mon statut de personne transgenre asexuée ».
Un autre détenteur masculin, Kobe, a connu une une trajectoire identique : trans-identification à onze ans, bloqueurs de puberté à treize ans, œstrogènes à seize ans et castration chirurgicale à dix-neuf ans. Il est aujourd’hui obligé de suivre une thérapie à vie de remplacement de la testostérone, ce qui l’a aidé à se sentir à nouveau vivant. On mentionnera enfin le douloureux décès d’un jeune homme trans-identifié de 18 ans, des suites de complications liées à une vaginoplastie.
Les études pionnières, ayant précédé notre phase d’expérimentation, ont débuté aux Pays-Bas au début des années 1990. Une étude réalisée en 2008 a révélé que la plupart des enfants souffrant de dysphorie de genre ont vu cette dernière disparaître après la puberté ; que la moitié des garçons qui ont renoncé à effectuer une transition étaient homosexuels ou bisexuels, et que la quasi-totalité des enfants, garçons et filles du groupe dont la dysphorie de genre persiste, était homosexuels ou bisexuels.
Aujourd’hui, alors que les pays européens commencent à faire marche arrière en matière de bloqueurs de puberté, les cliniciens américains s’emploient à les mettre sur le marché et, dans un esprit typiquement américain, à y aller pied au plancher.
Les questions qui se posent sont alors les suivantes : comment comprendre la législation actuelle au vu des incertitudes entourant les bloqueurs et les chirurgies des parties génitales ? Quand les homosexuels cesseront-ils de compter les mutilations de leurs petits frères et de leurs petites sœurs ? Combien de récits funestes similaires à celui de Briana ou Kobe devrons-nous rapporter avant qu’ils ne prennent fin ? Quand cessera cette ère d’expérimentation sur les garçons et les filles coupables de ne s’être pas conformés aux normes de genre ?
Le nombre de cliniques de genre a explosé dans tous les états du pays. De quelques cliniques, ce chiffre est passé à 400 aujourd’hui d’après la base de données fournie par l’organisation The Global Gender Mapping Project. Reuters, en collaboration avec une société de technologie de la santé appelée Komodo Health Inc, a analysé les données relatives aux jeunes ayant reçu un diagnostic de dysphorie de genre. Le nombre de nouveaux diagnostics en 2021 s’élève à 42 167 ; un chiffre qui représente presque le triple du nombre de diagnostics en 2017, qui ne s’élevait alors qu’à 15 172. Selon l’agence de presse Reuters : « Dans l’ensemble, l’analyse a révélé qu’au moins 121 882 enfants âgés de 6 à 17 ans ont reçu le diagnostic de dysphorie de genre de 2017 à 2021. »
Reuters a découvert que 776 adolescentes âgées de 13 à 17 ans ont subi une double mastectomie entre 2019 et 2021. Des adolescentes demandent des dons pour financer ces interventions sur des sites de crowdfunding comme Go Fund Me. Le nombre de détransitionneurs augmente aussi, comme en témoigne le subreddit detrans qui compte désormais 52 000 membres.
La psychologue Tamara Peitzke a tiré la sonnette d’alarme concernant le climat sur cette question au sein de la communauté scientifique Elle dénonce l’injonction de ratifier (d’affirmer) la demande de transition sexuelle du patient sans possibilité de l’interroger.
C’est en réponse à cette expansion très récente et drastique des « soins d’affirmation du genre » (gender-affirming care) que les activistes ont commencé à se rassembler pour s’opposer aux bloqueurs de puberté. LGB Alliance a été fondée en 2019 pour s’opposer à ce qu’elle considère comme une transition médicale inquiétante pour les jeunes LGB. Dès sa création, elle a dû faire face à des poursuites judiciaires de la part de Mermaids, une association caritative pour les jeunes transgenres, qui a cherché, en vain, à faire retirer à LGB Alliance son statut d’association caritative.
L’activisme politique ne s’arrête pas là : Kellie-Jay Keen-Minshull, sous le charmant pseudonyme de Posie Parker, a mené une fervente campagne pour défendre les espaces réservés aux femmes contre l’entrée des « femmes-trans » ou, comme elle les appelle, des hommes ! Qu’il s’agisse de toilettes ou de vestiaires féminins, de prisons et de sports féminins, Kellie-Jay est catégorique : aucun homme ne doit passer ! Son organisation, Standing For Women, a inspiré des rassemblements dans le monde entier lors des événements « Let Women Speak », où les femmes prennent le micro et expriment librement leur désaccord avec l’idéologie du genre et la transition des enfants. Elle vient d’annoncer la fondation d’un nouveau parti politique au Royaume-Uni : Party of Women.
Ses activités militantes l’ont menée jusqu’en Nouvelle-Zélande, où son groupe de militants pour les droits des femmes s’est retrouvé encerclé par une foule de 2000 militants du mouvement transgenre. Un de ces militants a renversé une boîte de soupe à la tomate sur son visage, puis elle a été contrainte de s’enfuir alors que la foule devenait violente. Kellie-Jay a craint pour sa vie : « Je me souviens avoir pensé que c’était la fin. J’allais mourir sous les mouvements de foule. Ils allaient m’écraser et j’allais mourir ». Elle a défendu haut et fort la protection de l’enfance de maltraitance médicale et a entonné, lors de nombreux rassemblements, le slogan politique et l’appel à l’action qui ont fait mouche aujourd’hui : « La maison est en feu et nos enfants sont à l’intérieur ».
Alors que cette opposition à la médecine transgenre progresse en Europe, aux États-Unis, la question s’est enlisée dans le bourbier de la politique partisane. Le Parti républicain mène le combat dans tous les états du pays pour tenter d’empêcher toute transition médicale chez les mineurs. En réaction, les démocrates et les principales organisations caritatives LGBT se sont, comme on pouvait s’y attendre, cantonnés dans leur position. L’association LGBT HRC (Human Rights Campaign), considère ces projets de loi « anti-LGBTQ+ ». Dans cette perspective, elle a déclaré l’état d’urgence national pour les Américains LGBTQ+.
Personne ne sait réellement pourquoi les principales organisations caritatives LGBT refusent d’entendre les critiques concernant la transition médicale des enfants. Ces associations ont progressivement délaissé les campagnes en faveur des droits des lesbiennes, des gays et des bisexuels pour celles en faveur des personnes transgenres. Le “T” n’a pas toujours eu cette d’influence. En réalité, le mouvement de libération gay a refusé pendant de nombreuses années que le T soit rajouté à l’acronyme. Ce n’est qu’à l’occasion de la Marche sur Washington en 1993 pour l’égalité des droits et la libération des lesbiennes, des gays et des bisexuels, que le changement s’opère. Partant, on entretient le mythe abondamment déclamé d’après lequel Marsha P. Johnson a jeté la première pierre à Stonewall. Toutefois, sa transidentité n’est que supposée.
Gay Liberation Front march on Times Square » photographe par Diana DAVIES, 1969. The New York Public Library, Digital Collections.
En l’espace de quelques décennies, les personnes “T” sont devenues les acteurs dominants du mouvement LGB. L’augmentation drastique des fonds alloués aux questions transgenres en témoigne. Selon le rapport 2021 publié par Funders for LGBT Issues, le financement des communautés transgenres est passé d’environ 4 millions de dollars en 2012 à environ 36 millions en 2021. Il est clair que les principales organisations caritatives LGBTQ+ ont abandonné les lesbiennes, les gays et les bisexuels au profit de la vache à lait que sont les droits des personnes transgenres. Les opérations chirurgicales et les produits pharmaceutiques sont très lucratifs, mais ce fait est occulté par des fioritures rhétoriques conçues pour présenter les personnes “T” comme des victimes perpétuelles, constamment sous le feu des critiques.
Il est particulièrement exaspérant de constater que les organisations censées représenter les intérêts des lesbiennes, des gays et des bisexuels se prononcent fermement en faveur de la transition médicale des enfants et des adolescents. Toutefois, certains homosexuels et bisexuels ont commencé à exprimer leur mécontentement grandissant à l’égard de l’orientation du mouvement par le biais du hashtag #LGBWithoutTheT (LGB sans le T). C’est peut-être le début d’un divorce long et difficile entre les deux parties de l’acronyme LGBTQ+ : le LGB désignant les orientations sexuelles et le TQ+ se rapportant aux identités de genre.
Le temps est venu pour les gays, les lesbiennes et les bisexuels, de s’opposer ensemble à la pratique homophobe de la transition médicale, qui vient des plus hauts niveaux des organisations caritatives LGBTQ+. Il est temps de dire aux innombrables jeunes qui s’automutilent, aux enfants qui sont poussés dans cette voie, et aux chirurgiens et cliniciens qui se tiennent prêts à répondre à leurs demandes que tout cela va trop loin. Il est temps de réaffirmer enfin ce que le mouvement des droits des homosexuels a toujours défendu : l’acceptation de soi, quel que soit le corps dans lequel on est né.
À propos des auteurs :
Frederick Schminke est un enseignant d’anglais et expatrié américain qui vit à Paris. Il fait partie de la LGB Alliance, et il écrit sur substack à @frederickschminke, ses caricatures politiques sont disponibles sur les réseaux sociaux : linktr.ee/HereNotQueer. Il est joignable à l’adresse mail : frederick.schminke@lgballiance.fr
Une relecture et révision de cet article ont été fait par Holly Golightly, écrivaine et traductrice qui publie sous un pseudonyme,
et Matisse Lelièvre, dont les productions écrites sont disponibles sur Substack : Fabrique cybern-ethique.